Chapitre I) Nine years young

Nine years young

Bienvenue dans la grande ville de Senshutsu, au sud de la région ! Ici, les commerces pullulent, le bruit de la ville est permanent, tous les prétextes sont bons pour rendre la ville vivante. Nous sommes en l'an 374 de la Nouvelle Ère, et Nidari, neuf ans, traverse les places et les rues à la recherche de quelqu'un ou de quelque chose. En tournant au coin d'une ruelle sombre, il aperçoit une jeune fille en détresse, et comme à son habitude, elle se fait harceler par un grand gaillard de onze ans. Il la martyrise pour garder une certaine autorité sur elle, en prétextant vouloir devenir un soldat de la Nouvelle Armée :

- C'est pas moi qui décide, je t'ai dit ! répond-elle.

- Ton père est bien lieutenant, non ? Alors dis-lui de me recruter. Je deviens soldat, je tue un dragon, à moi la gloire et on n'en parle plus, vu ?

Comme si la vie marchait comme ça... Dans la Nouvelle Armée, même les meilleurs soldats ne se risquent pas à affronter un dragon pour le plaisir. En ces temps, la guerre contre les mutants nécessite tout un art de coordination pour survivre, mais ça, seuls ceux qui ont risqué leur vie peuvent s'en souvenir.

En voyant cet énergumène peu fréquentable, Nidari tente de ne pas éclater de colère.

- Encore toi... Et cette fois, à qui t'en prends-tu ? se murmure-t-il.

En examinant la victime d'assez loin, il plisse les yeux et la reconnaît ; il grince des dents et serre le poing à s'en faire craquer les os.

- Létaki !

Il fonce à toute allure, voyant que le garnement ne prête pas attention à lui et ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase.

- Y a un truc, que tu sais pas sur moi, c'est que je suis-

*PAF !*

- Prends ça, Shôta ! Hurle-t-il de toutes ses forces.

Le poing de Nidari vient s'écraser sur le visage du voyou ! Surpris, celui-ci ne sait pas comment réagir, et Nidari en profite pour l'attraper par col et lui remettre une volée ! Coups de pied, coups de coude, manchettes, tout y passe et voilà le vilain qui s'enfonce dans le mur avant de s'effondrer à terre.

Nidari se retourne alors vers son amie d'enfance, Létaki, en pleurs, et lui tend la main.

- Sèche tes larmes, Létaki. À partir de demain, on va s'entraîner ensemble à se battre et à se défendre. Et dans quatre ans, on intègre la Nouvelle Armée. Si ça te dit, prends ma main et relève-toi.

Elle lui attrape la main et se relève.

- Merci, Nidari ! Lui sourit-elle, les larmes aux yeux.

 

Je m'appelle Nidari Nakar, je suis né en l'an 365 de la Nouvelle Ère, ici à Senshutsu. Je passe mon temps à surveiller Létaki, car elle est fragile et pleurnicheuse, mais c'est ma jumelle, alors je me dois de la protéger. Je ne suis pas son frère, mais il y a de quoi nous comparer : nos pères sont tous les deux soldats. Ils sont lieutenants dans la Nouvelle Armée, et font tous les deux partie de la division du commandant Nujiber la Destinée. Nos mères, quant à elles ont toutes les deux donné leur vie pour nous mettre au monde. Létaki et moi avons également le même âge, et avons toujours vécu ici, à Senshustsu. C'est pour ça qu'on est des "jumeaux". Depuis toujours, je me bagarre contre les autres enfants, parce qu'ils se moquent de Létaki, et comme mon père m'a appris à me battre et à me défendre, je suis une vraie terreur dans le quartier : il n'y a que les forces de l'ordre pour m'arrêter ! D'ailleurs, avec Létaki, on va rejoindre les rangs de la Nouvelle Armée lors de notre recensement militaire quand on aura treize ans. On va passer ces quatre prochaines années à s'entraîner durement pour faire partie des meilleures recrues !

 

En victime, le vaurien qui se relève tant bien que mal tente une dernière provocation lâche avant de s'enfuir à toutes jambes :

- Toi, dès que j'ai du Tiny Blood, je te tire dessus !

Nidari ne s'inquiète même pas de ces menaces d'enfant, il en connaît bien plus que les autres à ce sujet. Son privilège ? Il est fils de soldat, ce qui est extrêmement rare. De par les leçons paternelles, il connaît très bien l'histoire et le développement de la Nouvelle Armée. À l'école, on le forme depuis ses six ans à devenir ce qu'est devenu son propre père : un soldat. Endurance, discipline, confiance en soi, ces valeurs lui ont été transmises par son père, ce qui fait de Nidari un enfant à la maturité et l'humilité supérieures aux autres. Tout comme son amie Létaki, il n'a pas de petit frère ni de petite sœur, il est donc naturellement l'aîné d'une fratrie inexistante, et comme le veux la coutume, il rejoindra les rangs de la Nouvelle Armée pour combattre auprès des siens contre les mutants, prédateurs de l'homme.

Là où Létaki s'inquiète de nuire à son jumeau, lui la rassure :

- Ne t'inquiète pas, Shôta ne pourra jamais tirer sur moi car il n'entrera jamais dans la Nouvelle Armée. C'est son grand frère qui en fera partie. Lui, il fera simplement des études pour être marchand, docteur, ou agriculteur, rien de dangereux pour nous.

- Mais... C'est quoi déjà "Taï..." ?

- Tiny Blood, c'est le nom de la maladie bizarre dont a parlé le professeur à l'école, tu te souviens ?

- Ah oui... Mais... Il peut te rendre malade en te tirant dessus ?

- Ne dis pas n'importe quoi ! Lui sourit-il. Allez viens, on rentre.

Il sortent de l'impasse et traversent de nouveau la ville, en direction de leur quartier. Elle soupire de soulagement, accrochée à son bras, les yeux encore brillants des restes de ses larmes. Lui garde un air pensif ; il lui caresse doucement ses couettes roses comme s'il lui enviait une coiffure colorée qu'il n'a pas, mais ses pensées sont ailleurs, presque aussi noires que ses propres cheveux.

 

C'est bien ça. Elle ne dit pas n'importe quoi. Heureusement qu'elle est naïve. D'après la coutume, le premier enfant d'une famille deviendra militaire très jeune, et le cadet restera dans le civil. Mais rien n'oblige des parents à n'avoir que deux enfants comme tout le monde, et rien ne les empêche d'inverser les codes familiaux pour ce qui est de l'avenir de ces enfants. Si cette crapule entre finalement dans la Nouvelle Armée et obtient un pistolet bactériologique, il pourra tirer des capsules de Tiny Blood sur ses cibles et les rendre malades. Si ça se produit, j'espère qu'il aura gagné en maturité et ne fera pas n'importe quoi.

 

 

Partons maintenant vers l'est, jusque dans la ville de Saikô, aux pieds des montagnes. Là-bas, un jeune garçon fait la manche. Le long couloir de la rue est propice à un courant d'air frais qui fait légèrement vibrer ses mèches dorées. Il fait froid en cette saison, et il ne porte sur lui qu'une sorte de voile noir déchiré qui lui couvre la moitié du corps en guise de vêtement et un vieux pantalon plusieurs fois troué. L'allée est souvent déserte, comme ce jour-là, où apparaît discrètement une silhouette habillée tout en blanc en haut du muret contre lequel il est assis :

- Tu t'en es quand même sorti... Mais tu as changé... Bien, on se revoit bientôt, ne meurs pas, Kyhx... Souhaite silencieusement l'ombre au mendiant.

- ...

Accroupi à la cime du mur, l'homme se relève sans bruit et se sauve d'un bond impressionnant de plusieurs mètres de longueur. Cette acrobatie a sans aucun doute été en partie possible grâce à la douce détonation qui a craché cette petite étincelle bleue sous le talon de sa botte. Aussi vite arrivé, l'homme est reparti sans un bruit. Qui est-il et à quoi fait-il allusion ? Seul ce Kyhx doit en être au courant. D'ailleurs, après la visite de ce mystérieux personnage, Kyhx apparaît de moins en moins dans les rues de Saikô, au fil des jours, pour finalement, ne plus du tout apparaître. La rumeur tourne que ce jeune garçon, dépourvu d'identité, n'a pas survécu à la précarité. Un souhait est emporté dans le vent.

 

De l'autre côté de la ville, une jeune fille pas beaucoup plus chanceuse n'est pas sortie de sa maison depuis deux ans. Elle semble vivre toute seule, en vivant sur les réserves qu'il y a chez elle. Il faut dire qu'il y a deux ans, la maison voisine a été retrouvée complètement brûlée, et ses parents se sont violemment disputés pour ne finalement jamais revenir. Depuis lors, les gens se méprisent les uns les autres dans ce quartier de Saikô. Pourtant, il faut bien qu'elle ressorte un jour de chez elle. Du haut de ses douze ans, cette jeune fille ne veut croiser personne, en ville, c'est pourquoi elle se dépêche de traverser son quartier pour rejoindre la forêt, au sud de la ville, qui donne sur la montagne. En ramassant une branche solide, elle se place en face d'un arbre, serre le bâton de toutes ses forces, ferme ses yeux larmoyants, et de temps à autre, elle frappe l'arbre de toutes ses forces en criant :

- Pourquoi ? Pourquoi vous êtes partis ? Ça fait deux ans que je vous attends !

À cause de ses cris répétés, un groupe de trois petites créatures finit par être attiré et s'approche d'elle à pas de loups. Des reptiles rampants, pas plus longs qu'un bras, une peau lisse et écailleuse, une gueule pleine de crocs. Ils attendent le dernier moment pour rugir et bondir d'un coup sur leur victime. La jeune fille se retourne vivement, surprise par les rugissements, et d'un revers de bras, elle donne un coup violent à l'un de ses prédateurs. Comme pour se venger, elle regarde fixement les autres créatures avec un air des plus menaçants, puis les assène de coups, aussi violents que nombreux. Bien que ces pauvres bêtes, ne répondant qu'à leur instinct animalier, se défendent comme elles peuvent, elles ne parviennent pas à fuir, et finissent toutes par succomber aux assauts de la vengeresse. Pourtant, ce massacre ne suffit pas à calmer sa frénésie, et elle continue son chemin, en s'arrêtant tantôt pour cueillir une fleur, tantôt pour l'écraser, selon son humeur.

Quand elle arrive près d'un ruisseau, elle s'arrête pour s'accroupir et pleurer dans ses genoux un moment, jusqu'à ce qu'un énorme grognement survienne de derrière elle. Avec le même regard tueur, elle attrape son arme, se retourne et fait face au bruit qu'elle vient d'entendre. En revanche, en face d'elle, ce n'est plus une petite bestiole d'un décimètre de taille, comme celles qu'elle avait croisées quelques heures plus tôt, qui se dresse ; cette fois, ça atteint presque les trois mètres ! Entêtée et colérique, elle choisit de passer sa colère sur ce bestiau cuirassé, mais ses faibles coups d'enfant ne font qu'enrager la bête, qui la bouscule et se met à charger dans sa direction. En tentant de fuir son funeste destin, la jeune adolescente court aussi vite qu'elle le peut, mais elle s'épuise, et risque de finir piétinée ! Elle peut trébucher à tout moment, mais en même temps, elle doit-

*BUNK !*

- ... Aïe-euh...

Ce n'est que quelques minutes plus tard qu'elle se réveille de ce choc avec une forte douleur au crâne. Comme elle était allongée, elle se redresse, dégage ses longs cheveux violets de la vue ses yeux bleus fatigués, et voit juste devant elle, cet énorme mastodonte grise qui la poursuivait ; mais cette fois, elle est couchée, en train de dormir, ou de se reposer. On peut même entendre sa lourde respiration souffler la poussière. La fillette reprend doucement son calme :

- Qu'est ce qu'il s'est passé ? Se demande-t-elle à haute voix.

- ... C'était mon épaule...

Avec un sursaut de surprise, elle tourne la tête à droite et regarde d'où vient cette réponse inattendue. Un jeune garçon à la voix grave et étouffée est assis là, à quelques mètres, contre le rocher. Il cache timidement une partie de son visage avec un vieux bout de tissu sombre. On dirait aussi que les vêtements qu'il porte sont usés parce que le côté droit de son torse est nu, tout comme ses deux pieds.

- Qui... ?

Il ne répond pas. Ce jeune garçon est assez spécial. Mais il semblerait qu'il vienne de lui sauver la vie.

- J'imagine que je dois te dire merci d'avoir arrêté ce... monstre.

- C'est un sasquatch.

Il répond avec un profond mépris et une rare froideur envers elle, mais en même temps, il l'a protégée, donc comme pour le remercier, elle décide de se présenter à lui, d'un air excusé.

- Je m'appelle Zélyde, et j'ai douze ans.

Elle attend un retour de sa part, mais il ne la regarde pas. Il semble dessiner par terre avec un petit bout de bois. Avec monotonie et impassibilité, il reprend, sans se présenter :

- ... C'est une femelle, et elle est enceinte. Pourquoi tu l'as frappée... ?

- Quoi ?

Décidé à ne pas répondre, il continue, d'une voix à la fois étouffée par son voile, et continuellement lente et peu élevée.

- ... Ces lieusards que tu as tués. Tu es fière de toi... ?

- Ils m'ont attaquée, je devais me défendre !

- Tu aurais simplement dû les faire fuir, pas tous les tuer... Lui répond-il enfin, toujours sans nuance vocale.

Elle hésite un court instant avant de lui répondre :

- Si je te dis pourquoi, tu me dis comment tu t'appelles ?

Il s'arrête de griffonner le sol et regarde Zélyde dans les yeux de son unique œil blanc découvert.

- Je m'appelle Kyhx , et j'ai onze ans.

- Alors voilà : ...

 

 

Kyhx, dont la rumeur le disait mort, s'était en fait retiré dans les montagnes, en dehors de la ville. En ayant passé des mois entiers en compagnie de ces mutants, Kyhx est devenu un très bon analyste des comportements animaliers. Visiblement, il sait s'y prendre pour survivre en milieu sauvage.

 

Comme ils vivent sans famille, Zélyde et Kyhx ne vont plus étudier à l'école depuis déjà un certain temps, alors que Nidari et Létaki continuent, de leur côté, à mêler leur apprentissage scolaire avec leur préparation physique, soutenus par leurs papas, lorsque ceux-ci ne partent pas en mission militaire.

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