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Chapitre X) The K-Book

The K-Book

Capitale de la région et plus grande ville en développement depuis la Nouvelle Ère, Seiha abrite la plupart des plus grandes instances de la technologie et du savoir que possède le peu d'humanité qui survit encore. Le dôme central de la ville abrite l'ASSH, l'Académie des Sciences et du Savoir Humains, principale ressource technologique depuis la Nouvelle Ère. C'est le bâtiment le plus connu, où travaillent les meilleurs chercheurs, en étroite collaboration avec la Nouvelle Armée. Les technologies recherchées et celles nouvellement trouvées sont secrètement transmises à la Nouvelle Armée afin d'être testées et maîtrisées avant d'être révélées au grand public.

À l'ASSH, les postes les plus importants sont occupés par les chercheurs les plus talentueux, ceux qui ont prouvé leur efficacité dès leur entrée. On y trouve principalement des personnes d'expérience, mais quelques rares génies se sont tout de même manifestés au fur des générations. Après leur cursus scolaire jusqu'à la classe 18, ceux qui ont réussi les examens et les concours ont fini par intégrer l'Académie, les plus jeunes cerveaux ont à peine dix-huit ans et rejoignent seuls la capitale pour y vivre, lorsque ce n'est pas déjà le cas. Les nouvelles têtes sont accueillies dans les services de sciences qui les intéressent et intègrent des équipes qui les forment à la recherche scientifique avancée.

 

Seiha. Académie des Sciences et du Savoir Humains.

 

Seul dans l'espace qui lui est consacré, Scott est le plus jeune chimiste indépendant de l'ASSH. À vingt ans, le laborantin a déjà prouvé l'efficacité de ses recherches sur les mutants. Il est à l'origine de la conception des sérums que la Nouvelle Armée utilise pour éliminer les mutants massifs, comme les sasquatchs, dont la cuirasse émousse beaucoup trop les lames des soldats. Depuis lors et à sa propre demande, il travaille seul, sans équipe, dans son laboratoire improvisé. Diagnostiqué socialement retardé et légèrement paranoïaque, ce scientifique solitaire teste toutes les possibilités d'une expérience, sans n'en manquer le moindre détail. Cependant, il est incapable d'expliquer son raisonnement, ce qui le conduit à chercher seul sans être dérangé jusqu'à la conclusion de ses travaux.

En ce moment, il étudie les propriétés d'une plante réputée pour n'éclore qu'au chaud et en présence de lumière solaire. Aussi vive qu'une plante carnivore, celle-ci ferme ses pétales verts sitôt qu'une pluie se manifeste, aussi soudaine soit-elle.

- Il semblerait qu'elle veuille protéger son pistil de l'eau... Pense-t-il tout haut.

Quoi de meilleure solution pour un curieux botaniste que de forcer la nature à faire face à ses problèmes pour en connaître les conséquences ? Scott se décide alors à d'abord placer ladite fleur un support flottant au milieu d'une bassine d'eau. Soleil couchant mais encore chaud, météo acceptable, le store mérite de rester ouvert pour la durée de l'expérience. Après quelque attente, la fleur se sent en sécurité sous le Soleil et éclot doucement, très doucement... Le caprice floral prend de longues minutes à se satisfaire. Près d'une heure de phase d'éveil et enfin la fleur s'est ouverte. D'un air malicieux, le chimiste qui assiste à ce spectacle ne peut s'empêcher d'aspirer une goutte d'eau de la bassine à l'aide d'une pipette et de manier son instrument avec délicatesse pour faire tomber la goutte d'eau précisément sur le pistil de la fleur. Sans prévenir et pourtant sans bruit, les pétales se referment soudainement, et font sursauter le chercheur. Une plante carnivore attraperait des insectes à la même vitesse.

- Bah oui, je suis con ! S'exclame-t-il.

Beaucoup de gens le savent déjà, qu'une telle fleur se referme au contact de l'eau, en particulier les étudiants du domaine. Le chercheur ouvre tout de même le cadenas de son armoire, attrape un gros bouquin, une sorte d'encyclopédie floral, dont la couverture est ornée d'une lettre K majuscule, brodée au fil d'or. Il l'admire un instant puis se décide à l'ouvrir religieusement à l'aide de son marque-page et barre soigneusement quelques mots au crayon rouge sur l'une des pages pour corriger une phrase : "On n'en trouve pas près des rivières et des lacs parce qu'elles craignent l'humidité de l'air à proximité de l'eau." est remplacé par "On n'en a pas encore trouvé près d'une source d'eau étendue, de plus, elles semblent avoir une réaction violente lors d'un contact entre leur pistil et de l'eau.". C'est ça, la recherche scientifique, une constante remise en question de ce qui a été observé pour être de plus en plus précis, jusqu'à deviner les propriétés exactes du sujet auquel on s'intéresse. La manipulation a pris beaucoup de temps, et la luminosité faiblit, dehors. Pour palier à l'absence de Soleil qui s'évanouit, Scott tente désespérément de le remplacer par les néons de son laboratoire. Il est prêt à attendre toute la nuit s'il le faut pour obtenir une réaction de la plante. Il fixe les pétales en fronçant les sourcils, car il ne veut manquer aucun mouvement.

Rien ne semble se passer, et lorsque frappe à la porte et entre l'un de ses collègues, Scott abandonne complètement sa concentration, accourt vers son livre pour le fermer et le cache grossièrement avec ses doigts entrouverts. Pour rire de la légère paranoïa plutôt que d'en aggraver le cas, son collègue s'amuse.

- Je l'ai vu ton livre, hein !

D'un air penaud, il découvre la surface de la couverture et admire ces lettres d'or brodées sur une couverture de cuir comme il aime le faire. Il semble se remémorer des souvenirs muets et ne quittera ses pensées que par la perturbation que lui offre son collègue.

- Professeur Lygendia, il est tard, vous devriez rentrer chez vous. Vous continuerez demain, surtout si vous avez besoin de lumière solaire naturelle.

En effet, le Soleil a besoin de repos également, et Scott accepte de quitter son lieu de travail le temps d'une nuit. Il garde avec lui sa précieuse bible, jamais il ne la quitte. Bien des gens ont tenté de savoir pourquoi, mais sa... "différence" a toujours le dernier mot pour convaincre. Les gens sont gênés de parler à un handicapé de son handicap, alors ils esquivent le sujet et feignent l'indifférence comme si c'était une banalité pour eux, mais...

Les gens ont peur du changement, du nouveau, de l'inconnu, alors ils l'ignorent et se terrent dans l'ombre de la connaissance acquise. Quelle meilleure situation que celle-ci pour faire usage de manipulation alors que tout espoir de survie repose sur l'entraide entre chaque humain ? Les gens s'écoutent, se croient et se font confiance, mais de plus en plus, mentent, profitent et abusent, comme on pouvait l'imaginer quelques siècles passés. Comme une absurdité sans nom, ce phénomène reste rumeur, et aucun n'accusera sans raison, car à petit tord pardonnons, pourvu qu'il soit productif, et raisonné.

Ce chimiste n'est que trop conscient de ces profits malhonnêtes, et ne se confie à personne, pas même à sa famille, à cause d'une peur qui n'est que fantaisie. Alors il se met lui aussi à garder ses petits secrets. C'est d'ailleurs par cette absence d'obtempération que Scott reste le seul à connaître la véritable identité de l'étrange plante qu'il manipule. Grâce à ses dernières expériences sur son sujet, il a pu recouper les informations qui sont décrites dans son livre avec l'étroit lien qu'il a remarqué entre cette plante et l'eau. Sans aucune remise en question possible, cette plante rare est une nouvelle et jeune espèce de sphaigne, qui a subi une mutation de force, c'est-à-dire, rapide et complète. À tel point que son apparence est bien changée et son mode de vie a migré jusqu'à la surface de l'eau, sous laquelle elle vivait autrefois. Ces constatations sont réelles : la plante est organiquement identique, mais son caractère, ses réactions, se sont adaptés à la mutation.

Cependant, ce n'est pas vraiment la nature même de ce que recherche le laborantin. Scott a déjà découvert la nouvelle sphaigne dans l'ombre et n'a pas voulu l'ébruiter car une conséquence bien plus importante découle directement de cette nouveauté florale : la seule cause de mutation qui a eu lieu au cours des quatre derniers siècles n'est inconnue de personne, il s'agit de la bactérie Tiny Blood. En plus d'avoir ravagé la plupart des espèces animales terrestres, il semblerait que la vie sous-marine ait été affectée aussi, reste à savoir à quel point et c'est justement ce point-ci que cherche à éclairer le professeur Scott Lygendia.

Dès le lendemain, après qu'il a passé sa nuit à errer entre somnolence et réflexion, Scott est l'un des premiers à rejoindre son lieu de travail, à l'ASSH. Armé de son encyclopédie, il est prêt, à l'orée de l'aube, à s'acclimater des meilleures conditions solaires pour s'adonner aux prochaines expériences sur son illégitime sphaigne. Il compte bien profiter du Soleil naissant pour passer la journée à collecter ce don de la nature et en observer les effets sur sa jeune fleur. Son expérience consiste à isoler le pistil délicatement, sans l'esquinter, pour pouvoir le traiter sans la contrainte des pétales. La capricieuse se laisse désirer plusieurs heures, se plaignant de la faible chaleur matinale, avant d'enfin ouvrir son manteau de pétales, pendant que Scott tue le temps en feuilletant, une fois encore, son bouquin si précieux. Jetant parfois quelques coups d'œil pour surveiller l'éveil de la fleur, il se précipite vers ses instruments de chirurgie lorsque l'éclosion est totale, et s'apprête à détacher, une à une, chaque partie de l'armure qui protège le cœur de sa sphaigne. L'instrument, semblable à un gros coupe-ongle, n'a aucun mal à accueillir le pétale dans sa mâchoire, et, tel un étau, en coince la base pour le sectionner soigneusement. Sitôt la douleur ressentie, les autres protection se referment violemment, mais hélas, la coque étant désormais ébréchée, rien ne pourra empêcher le botaniste de continuer la dissection de la fleur. Mis à nu, le pistil est à la merci de la science. Scott peut enfin retourner la plante, en l'attrapant par la tige, et y plonger lentement son essence directement sous l'eau, dans la bassine sur laquelle elle flottait jusqu'ici. Une première scientifique, un phénomène encore jamais rencontré, le pistil se désagrège dans un spectre de couleurs à première vue aléatoire, en un disque coloré aqueux sans cesse grandissant. En fait, le laborantin le remarque immédiatement, il y a d'abord une vague de nuances de jaune, des plus blonds aux plus bruns, puis  une deuxième vague comportant les autres couleurs, rouge, bleu, vert, et leurs dérivés...

Le jeune chercheur le sait, il vient de découvrir quelque chose, mais ne sait pas encore quoi, du moins, il n'en sera pas certain au moins avant la tombée de la nuit prochaine. Pour finaliser cette prochaine avancée dans la science naturelle moderne, il doit se pencher sur la dominance de ces variations de jaune par rapport aux autres couleurs.

- Plante récemment mutée... Couleur exclusivement jaune, puis variée depuis la mutation... Se murmure-t-il. La lumière du Soleil est blanche, mais nous la voyons jaune... Y aurait-il une raison liée à ce phénomène ?

Ni une, ni deux, Scott se lance dans des expériences de dépigmentation et de colorimétrie, dans l'espoir, non pas de trouver un lien avec sa plante, mais de définir si ce lien existe ou non. Malgré le haut niveau technologique auquel a accès l'ASSH, les opérations réclament plusieurs heures de travail, et les chercheurs les plus passionnés sont souvent tellement plongés dans leur activité que certains en oublient parfois de s'en reposer et tombent de faim ou de fatigue. Bien que chercheur indépendant et solitaire, Scott est régulièrement interrompu au milieu de son travail car il a des responsabilités à assumer au sein de l'ASSH en tant que chef de secteur. Il fait partie des responsables de secteurs qui correspondent directement avec la Nouvelle Armée en ce qui concernent le développement des dernières technologies utilisables dans la guerre contre les mutants.

*Toc toc toc !*

Dérangé pendant ses tests, le scientifique de renommée s'interrompt en sursaut et retourne protéger sa précieuse encyclopédie avant d'autoriser son compère à pénétrer dans son bureau.

- Professeur, vous avez du courrier, ça vient de votre frère.

- Euh... oui, très bien, merci... Posez ça là, et faîtes attention à mon bleu de térébenthine.

- Bien, professeur, excusez le dérangement...

Attendant implicitement que son préposé postal quitte la pièce, Scott ouvre ensuite sans attendre le message qui lui est destiné et s'en inquiète à la lecture :

 

Yo frangin,

Ne t'attends pas à de bonnes nouvelles, j'ai plutôt eu des plaintes, récemment. Va falloir que tu sortes un peu de l'ombre, frérot.

Un bruit court que ton sérum aurait été vendu à des vandales avant d'être partagé avec la Nouvelle Armée.

Des cadavres de civils ont été trouvés avec du sérum dans le corps. J'espère que le pire reste le vol d'un échantillon.

Dans tous les cas, on doit avoir une discussion, toi et moi. Tu vas devoir m'en dire un peu plus sur ton livre K-L, Scott. Pour la Nouvelle Armée, pour notre famille, pour l'humanité.

 

Ton frère.

 

Ces mots troublent un peu le concerné, il n'aime pas beaucoup recevoir des ordres, mais en cas de force majeur, il doit se plier aux règles. Néanmoins, il n'a aucune autre contrainte à respecter pour le moment, alors il se remet au travail sans avoir s'inquiéter davantage à propos de la missive.

Il aligne des hypothèses, les teste, recoupe les résultats avec les récits des expériences datant d'avant la Nouvelle Ère et vérifie sa proposition initiale. Pour le moment, les seuls résultats sont au moins un peu satisfaisants, car ils n'ont aucune concordance avec ce que cherche le jeune laborantin. Il ne sait donc pas encore où chercher, mais il sait où ne pas chercher et compte bien découvrir ce que tous les autres auraient laissé tomber. Cela semble être un bien dur casse-tête, à s'en arracher les cheveux, et c'est justement ce qui donne un sourire curieux à Scott.

 

Atarashî. Territoire d'entraînement Gakushû.

 

- Yaaaaah !

*TCHAK*

Tel un fer légendaire, Nidari retire lourdement sa lame plantée dans le sol, à travers le corps sans vie d'une moitié de lieusard.
- Pfiou... Je pense qu'on a bien mérité une petite pause ! S'accorde-t-il.

Ses deux consœurs acquiescent, mais Kyhx ne connaît pas de répit et s'impose de continuer sa chasse, quitte à y aller sans support. Les deux jeunes filles essayent de le raisonner alors qu'il commence à leur tourner le dos pour repartir.

- Reste avec nous, Kyhx, tu aurais l'air bien con à te blesser si tu pars tout seul.

- Et si un drame arrivait, ta mort serait bien peu glorifiante, tu ne crois pas ?

Létaki parvient à toucher un point sensible chez le garçon têtu. Alors que rien ne semblait pouvoir arrêter son entraînement frénétique, il se sent soudain coupable de laisser son groupe sans lui. Après tout, il est bien placé pour savoir que quelle que soit l'importance de notre pouvoir, on ne peut pas maîtriser toutes les situations de la vie. Ce n'est pas par choix qu'il a vécu cette enfance traumatisante au fond des bois de Saikô. Zélyde aussi en est au courant, et ce n'est pas un si grand hasard si ces deux-là se ressemblent car elle aussi a vécu une tragédie familiale qu'elle a partagé avec le jeune Kerza, il y a quatre ans.

Il rejoint alors son groupe qui gravit une colline herbue non loin et tous s'assoient pour profiter de l'air revigorant, sentant le vent de la faible altitude les envelopper de douceur, devenue si rare depuis la Nouvelle Ère. De derrière eux, au loin, une voix retentit.

- ... -ély... -or... !

Ils se retournent tous les quatre et aperçoivent un groupe de quatre soldats qui semblent marcher dans leur direction, l'un d'eux faisant de grands signes. N'ayant entendu qu'un mot incompréhensible, ils ne reconnaissent ni ne savent comment réagir à l'annonce. Était-ce un sermon ? Un appel ? Personne ne sait, et puisque le groupe interlocuteur ne semble pas changer d'attitude, ils continuent de les fixer, attendant une réaction. Soudain, Zélyde s'agite : elle se lève, tout sourire, et fait de grands gestes à son camarade, qu'elle vient de reconnaître.

- Hé ! Morcki ! Coucou !

Tous trois s'étonnent de la posture totalement changée de la plus âgée. D'habitude, sur le terrain, Zélyde est toujours sérieuse et paraît constamment inquiète. À l'affût de tous les dangers potentiels, elle s'est donnée la mission d'analyser en permanence la situation pour être en mesure de protéger son groupe, un peu comme une mère protégerait ses petits. Ici, cette nouvelle attitude révèle d'elle une autre nature ; de l'âme anciennement solitaire et torturée, elle est devenue un tout autre totem de joie et de bien-aisance. En la regardant, Nidari se joue psychologue et souhaite comprendre la valeur de l'écart de ce changement d'attitude.

Whoa... C'est dingue comme elle est rayonnante quand elle sourit. Je ne l'avais pas encore vue comme ça. Elle a raison d'exprimer sa joie, après tout, dans la Nouvelle Armée, on n'a que trop peu de moments heureux. C'est vrai que c'est important de développer notre synergie par le partage d'émotions positives.

En l'observant agiter fièrement son bras, Létaki pose l'évidente question :

- Tu les connais ?

- J'en connais un ! C'est Sylvain Morcki, mon compagnon de dortoir ! C'est plaisant de le voir au milieu de tout ce carnage.

Elle parle bien sûr de leur entraînement, aussi important soit-il, aussi cruel soit-il, c'est un exercice capital pour tous les soldats de la Nouvelle Armée, pour être en mesure de protéger le reste de l'humanité.

Le nouveau groupe s'approche et les rejoint au sommet de la butte. Là-haut les présentations sont brèves : entre ceux qui n'ont que leur nom à présenter et ceux qui oublient de mentionner leur grade, rares sont les phrases personnelles. Il n'y a que Zélyde et Sylvain qui se connaissent au moins un peu, et étant tous deux les doyens de leur groupe respectif, c'est à eux que revient la lourde tâche d'entamer les discussions.

- Je te présente Nidari, avec les cheveux mi-longs, Létaki, la petite timide juste à côté de lui, et enfin, le grand muet, Kyhx Kerza.

Ils échangent les formules de politesse au fur et à mesure qu'ils sont nommés, puis, c'est au tour du grand Morcki de présenter ses collègues.

- Eh bien, voici Nosad, avec les cheveux noirs et la mèche devant l'œil droit, Gabudriel et ses cheveux oranges repérables de loin, et enfin Gagatô, la grosse mastodonte...

Il parle d'un jeune homme dont la corpulence marquée ne se rapporte pas à une expérience de soldat expérimenté. Sylvain Morcki chuchote la fin de sa phrase pour ne pas vexer ladite mastodonte.

- On le surnomme Paku tellement c'est une grosse bouffe ce gars-là.

Aux éclats de rire de Zélyde et de ses deux plus jeunes compagnons, le sujet "Paku" se doute de la moquerie, et réagit avec humour et répartie :

- Avec ma taille et mon volume, les mutants n'auront jamais le courage de s'attaquer à moi ! Alors qu'en vous voyant, ils vous prendront pour des faibles et ils vous pourchasseront ! Haha !

- Qu'ils me pourchassent ! Et je les pourfendrai ! Rétorque Nidari.

Petit à petit, tous les huit commencent à discuter entre eux. Toujours aussi peu sociable, Kyhx est éternellement en retrait, mais avec la complicité de Zélyde qui le force un peu, il s'exerce à la convivialité. Des discussions militaires comme ils n'en avaient jamais eues naissent et tous s'impressionnent eux-mêmes intérieurement de ce qu'ils sont en train de devenir : des adultes au destin tracé, des soldats qui se battent pour l'humanité. Leur fierté reste néanmoins personnelle, et aucun n'ose aborder le sujet de cette fierté, de peur de paraître ridiculement enjoué. Ils ont grandi dans les mêmes mœurs, pour eux, un soldat doit rester sérieux en toutes circonstances, et un signe de gaieté est plutôt négatif, sauf en cas de pauses et de discussions entre soldats de mêmes rangs. Ici, l'heure est à la détente, et l'un des groupes parle de sa journée de formation, la veille, puis de son immersion actuelle en groupe solitaire.

- Le capitaine Zénéïr Backar nous a remarqués et a insisté pour nous faire passer ce test ! Leur apprend Sylvain.

- Il a... "insisté" ? S'étonne Nidari. Pourquoi un capitaine se retrouve-t-il à "insister" pour donner une mission ?

- En fait, c'est à cause du capitaine principal, le capitaine Éréyid Backar, qui n'était pas vraiment d'accord. Du coup, ils se sont un peu chamaillés, et finalement, c'est le capitaine Zénéïr qui a obtenu gain de cause.

- ... "capitaine... principal" ? Se murmure discrètement Létaki.

- Pour finir, c'est justement le capitaine Zénéïr qui a notre entière responsabilité le temps du test ! Et on ne compte pas échouer, hein, les gars ?

Tous les trois acquiescent à leur proclamé chef de groupe en chœur. Ces histoires de formations accompagnées de haut-gradés, et de relations entre capitaines sont pas vraiment connues des disciples de l'Omniscient, puisqu'ils n'ont que leur commandant comme supérieur direct.

- Et en ce moment, il vous observe, votre capitaine ? Demande Zélyde, dubitative. Vous ne devriez pas combattre des mutants ?

- Bah si sûrement, mais nous aussi on a le droit à notre pause, non ? Répond-il avec amusement.

- Je vois mal où il pourrait se trouver pour vous surveiller, là, en ce moment... Leur souffle Kyhx.

Sylvain hésite un moment avant de répondre, de peur de vexer le borgne, mais ose finalement parler de son handicap avec amusement pour essayer de le sortir un peu plus de son silence.

- En même temps, t'y vois que d'un œil, toi !

- C'est vrai... Admet-il étrangement.

C'est vrai, il n'y voit que d'un œil, mais il a réussi à être meilleur que les autres pendant l'épreuve spéciale du recensement. Il a été le seul à remarquer le fil en nylon qui était accroché à mon épée et il a même réussi à lire le schéma des étoiles dans la nuit, alors je ne douterai jamais de sa vue. Sa coopération sera très précieuse avec mon sens de la réflexion. Tu as déjà perdu un œil, Kyhx, je ne te laisserai pas perdre le second !

Le temps filant à toute berzingue lorsqu'on n'y fait pas attention, le ciel s'est doucement assombri et surprend les jeunes recrues. Ils décident de s'entraîner ensemble et retournent chasser dans les fourrés de Gakushû. Deux fois plus nombreux, deux fois plus armés, leur arsenal de bataille est bien diversifié. Nidari et Sylvain se comparent l'un l'autre à la maîtrise du fer féodal, tandis que Létaki et sa grande partenaire impressionnent les hachettes de Gagatô et Nosad. À mi-chemin entre le caractère de Zélyde et celui de Kyhx, Gabudriel a un style de combat particulier. Très ancré sur la stratégie de groupe, il ne se battra que très rarement à l'épée et préférera achever les mutants avec ses poignards après que le reste de son groupe les aura épuisés. Sa nature sauvage ne se devine qu'au milieu de l'affrontement et contraste beaucoup avec son attitude calme et posée lorsqu'il ne se bat pas.

- J'ai une idée ! Et si on faisait un concours ? Lance tout à coup Sylvain.

- J'ai un peu peur de ton idée... Susurre Nidari. En quoi ça consiste, ton concours ?

- Si tu réponds "Ça consiste à gagner !" je te claque ! Prévient ironiquement Zélyde, consciente de l'attitude taquine du grand dadais.

- Héhé, en fait, il faut tuer le plus de mutants le plus rapidement !

- Mais... C'est vraiment dangereux... S'inquiète Létaki.

- Et la deuxième règle du jeu, c'est de ne pas mourir !

Plein d'entrain et sans plus attendre, Sylvain Morcki fonce à la recherche de mutants, et machinalement, il est suivi de Nidari qu'il a réussi à provoquer, et qui ne veut pas perdre la face. Le reste des deux groupes est contraint à suivre, pour éviter toute dispersion. Dans leur course, ils oublient le danger que représentent les carnivores qu'ils fendent de leurs tranchants, tant l'adrénaline les motive. L'un des deux est plus âgé de trois ans, mais l'autre joue le jeu de la compétition et donne son maximum.

- Hé ! Mais attendez-nous ! Crie vainement Zélyde en leur courant après, emmenant avec elle le reste des groupes.

 

 

De très loin, depuis son bureau dont la vue surplombe la sortie Nord-Ouest d'Atarashî, le commandant Frigueste le Génie scrute à l'horizon les fourmis qui s'éparpillent et trace sur son tableau une multitude de points et de flèches, le tout couvert de nombres indéchiffrables. Les vingt-et-un ans de son jeune âge ne chôment pas. Frigueste est le commandant le plus jeune que n'ait jamais compté la Nouvelle Armée. Cette tête pensante ne tombe pas d'un néant : il est à l'origine de la plupart des accessoires les plus récents de l'équipement des soldats ainsi que des dernières stratégies militaires les plus efficaces, celles-là même étudiée à l'ESM.

C'est justement l'élaboration de nouvelles stratégies qui remplit le plus son quotidien. Il en vocifère toutes ses journées lorsqu'il ne parvient pas à palier les points faibles de ses anciennes propres stratégies. Cependant, il arrive quelques fois où le Génie trouve une formation qui permet de défendre la position offensive qu'il a lui-même mise en place. Il en teste les conséquences la plupart du temps avec ses deux capitaines, ils sont alors trois à équivaloir un groupe de quatre soldats normaux, mais il analyse assez bien les résultats pour en interpréter l'efficacité en situation réelle.

Il travaille actuellement à l'amélioration de la dernière formation de combat qu'il a instauré au sein de la Nouvelle Armée : Lygendia IV. Comme l'indique sa nomination, il a déjà fait progresser son idée de base trois fois, et il espère continuer de la perfectionner jusqu'à trouver une ultime formation de bataille, suivant laquelle n'importe quel groupe de soldats rigoureux ne peux être blessé par des mutants. Le chemin vers cette utopie serait encore long, si une telle fin était seulement envisageable.

*Toc toc !*

Alors que la porte de son bureau s'entrouvre, Frigueste le Génie reste figé, puis laisse tomber sa tête et ses bras d'un coup, comme immensément peiné.

- Commandant, je vous dérange ? Demande la nouvelle arrivée.

- Non non... La rassure-t-il. Je ne trouve simplement pas la solution.

Elle reste plantée au seuil, attendant une invitation à entrer pleinement, mais le commandant prend encore quelques secondes à réfléchir à son problème, puis se convainc qu'il n'est pas sur la bonne voie.

- Non, clairement, c'est pas ça ! S'affirme-t-il. Je vous écoute, Nina.

Nina est l'une des deux personnes les plus haut gradées dans la division de Frigueste le Génie, elle est capitaine. À l'invitation de son commandant, elle réajuste sa queue de cheval, chevelure au teint violacé, et avance de deux pas, toujours dans le dos du jeune Génie.

- J'ai une demande pour vous de la part de l'ASSH. Une urgence, apparemment.

- Meh. Quel département ?

- Biologie.

Frigueste se retourne avec un air étonné. Il pense tout bas en comptant sur ses doigts jusqu'à cinq et répond à sa capitaine.

- C'est bien la première fois qu'il m'appelle par urgence, une idée de ce qu'il veut ?

- Commandant Frigueste, vous connaissez le professeur bien mieux que moi, et savez qu'il ne vous parlera qu'à vous.

- C'est vrai, vous avez raison. Accompagnez le capitaine Una et prévenez les commandants : cette fois-ci, y a du lourd.

- Entendu.

- Je compte sur vous, capitaine Oxford.

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