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Chapitre VII) The Elite Five 2

The Elite Five 2

Le temps est actuellement clair, au-dessus des têtes de la meilleure escouade formée ce jour, assistée par le commandant Hyxarkon l'Omniscient. Journée assez ensoleillée pour sentir une douce chaleur solaire, au-delà de la serre qu'ont formée les gaz qui s'échappent sans cesse de ces ruines fumantes depuis près de quatre siècles. Même si l'étoile réchauffe fragilement la surface terrestre, des nuages s'entêtent à se réunir, cachant ainsi le ciel grisé de pollution, autrefois bleu azuré. La demie-dizaine de ces bolides fonce sans traîner jusque dans les entrailles d'une cité déchue. Les cinq motards sont à la recherche d'un toit solide dans ce paysage vétuste dont le plafond apporte lentement une pluie certaine.

J'ai cinquante-et-un ans. Les gens me connaissent "Keiko" depuis si longtemps, mais ils sont toujours aussi surpris d'apprendre ou de ré-apprendre mon âge. Même Hyxarkon n'est pas celui qui m'a pas appris à rouler en Hyper Moto. C'est plutôt moi qui lui ai donné cette astuce, à ses débuts : lorsque la route est humide, sous la pluie, les motos dérapent vraiment beaucoup, et on peut utiliser la stabilité automatique pour négocier des virages bien plus facilement. Attention cependant, car en ligne droite, la stabilité automatique est beaucoup plus sensible, à grande vitesse, et les risques de chutes sont très élevés. À mon âge, une bête chute à cette vitesse-là peut m'être fatale, autant qu'un gros mutant qui serait déterminé à se nourrir de ma chaire un peu trop mûre. D'ailleurs, si vous vous demandez d'où je tiens cette forme et cette détermination, c'est parce qu'il y a quinze ans, j'ai appris que j'avais un petit frère de vingt-trois ans, et comme on ne se connaît pas dans le cadre familial, je ne sais jamais comment l'aborder...

Les premières giclées du crachin rendent cette fin d'après-midi plutôt fâcheuse, pour une mission en extérieur. Le commandant Hyxarkon propose d'accélérer la cadence, avant que la pluie ne devienne trop paralysante. Cette ancienne grande ville était constituée de beaucoup de petits quartiers individuels, tous desservis par la grande route principale, en ligne droite. Eux, sillonnent entre ce qu'il reste des habitations, à la recherche d'une fondation de campement. Alors que la pluie commence à s'abattre de plus en plus violemment, les cinq soldats doivent se résigner à rejoindre la grande tour, là-bas, à l'autre bout de la ville. Elle est partiellement écroulée, mais si elle tient debout, c'est que les pierres tombées du sommet ont renforcé la base.

Bien qu'il soit visiblement habitable, au moins pour la nuit qui approche, ce grand édifice bien visible de loin reste dangereux, car il attire les mutants qui cherchent, eux aussi, un toit solide pour s'abriter des intempéries. Malheureusement, il est primordial de préférer se cacher de ces pluies sauvages. Dans les grandes villes, suspectes d'avoir été des sites industriels autrefois, les fumées qui s'en dégagent contiennent des gaz dont la composition est très probablement fortement toxique. À partir de ces vapeurs, des nuages sont formés et pleuvent toute leur contenance à leur fonte. Dans le doute, les soldats sont plus aptes à se défendre des mutants que de l'eau qui tombe.

- Je fonce à la tour ! Crie Xan dans son communicateur.

N'attendant pas vraiment de confirmation, son véhicule détale et rejoint l'autre bout de la ville en quelques secondes. En réalité, c'est ce qu'il se serait passé si l'averse ne s'était pas présentée. L'aquaplaning de son Hyper Moto a trompé l'intelligence artificielle et la stabilité automatique s'est emballée. Xan perd complètement le contrôle et la chute est inévitable. Le fracas sonore est impressionnant, le véhicule, venu se planter dans un mur, est sûrement hors service. L'exosquelette de Xan glisse encore sur plusieurs mètres tant l'élan porté par l'énorme vitesse était important. Plus chanceux que sa monture, le Soldat Kriegor finit sa course tout seul, au centre du chemin, au beau milieu d'une danse d'étincelles, au pied de la tour. Alors qu'il est rejoint par ses pairs, arrivés bien plus prudemment, il reprend peu à peu ses esprits bien secoués. À terre et à plat ventre, il ouvre ses yeux sur l'un des siens.

- Bwahahahaha ! Tu t'es encore planté pathétiquement ! Et cette fois, tout seul, comme un grand ! Hahahaha !

L'ami Filigar est toujours aussi hilare lorsque son compère en armure intégrale perd son équilibre. Un équilibre qu'il n'a jamais réellement retrouvé depuis un vieil accident. Malcolm tend son bras et relève, une fois de plus, son grand ami robotisé, avec l'aide de Keiko. Le commandant Hyxarkon l'Omniscient est moins d'humeur à s'amuser. Il tait Khirian et fait prendre conscience aux autres de la situation qui vient de se déclarer.

- Comme je le redoutais, on n'est pas seul.

Il pointe du doigt l'ouverture peu conventionnelle de la grande tour. De par le vacarme qui vient de se produire, les mutants résidant au rez de la tour sortent se présenter. Une poignée de lieusards et bientôt, une plâtrée de ces reptiles hybrides montrent les crocs. Avec cette menace, les nombreux mutants se sentent forts face à si peu d'hommes.

- On dirait qu'il va falloir se battre.

Malcolm sort un briquet et enflamme le bout de son cigare déjà entamé, avant que Xan ne le lui arrache des lèvres et ne le jette dans le fossé qui longe la route sur la droite.

- Tu vas avoir mieux à faire que respirer les vapeurs toxiques de Bellevue. En avant !

Tous les cinq se jettent dans la bataille. En fluide continue, les petits prédateurs se ruent sur leurs proies, tantôt en sautant, tantôt en rampant jusqu'à leurs pieds. Immunisé des morsures grâce à l'amure spéciale qui recouvre tout son corps, Xan fonce en plein cœur de la tour, dans le nid des lieusards, repaire mortel où un humain normal ne pourrait survivre. Les prédateurs le recouvrent désormais intégralement, mais il ne se laisse pas faire. Si ses coups de poing ne suffisent pas, il attrape son fusil d'assaut de son bras droit et se met à mitrailler à l'aveuglette, prenant bien garde de ne pas se retourner pour ne pas viser ses amis. Il active même parfois faiblement ses propulseurs pour se servir des flammes comme d'une arme dorsale. Son bras de fer gauche lui permet d'attraper ceux qui le gêne particulièrement : ceux qui s'accrochent à sa visière ou qui se coincent dans les articulations de son exosquelette. C'est là où il se trouve que le requiem des cris des lieusards est le plus fort : dans l'enceinte même de la base du bâtiment.

À l'extérieur, les cris sauvages sont moins concentrés, et n'ont pas de murs sur lesquels résonner. Les combattants se sont dispersés pour diviser la menace. Keiko a suivi son instinct et a grimpé sur l'un des rochers en hauteur. De son amont, elle garde fièrement sa posture de samouraï. Ses vêtements mouillés collent un peu à sa peau, mais son expérience militaire efface toute gêne qu'elle pourrait rencontrer. Pour atteindre son altitude, les lieusards sont obligés de grimper lentement, ou de sauter à son niveau. D'un revers de manche parfaitement maîtrisé et répété autant de fois que nécessaire, Keiko tranche les prédateurs trop audacieux qui ont osé se décoller du sol : ils ne retouchent terre qu'en deux parties presque égales. Ceux qui grimpent lentement, à l'abri d'un ciseau aérien, sont fusillés sur la paroi rocheuse. En duo parfait, l'Omniscient s'est reculé assez loin pour échapper à l'étreinte des lieusards. Il s'est armé d'un fusil à longue portée, chargé de balles pointues, capables de se planter dans la solide carapace des mutants.

Aucune munition artisanale n'est capable de traverser complètement la cuirasse d'un mutant, mais ces balles sont taillées de sorte à s'y planter. Le mutant en question peut alors se retrouvé criblé de pointes. Plus il est petit, plus il est gêné, que ce soit par la petite douleur que l'épine lui fait subir, ou par le poids du plomb qu'il doit porter en plus. Ces balles pointues sont donc bien plus destinées à des petits mutants comme des lieusards ou des scerpiaux, qu'à de massifs sasquatchs. Les anciennes armes à feu chargées de capsules de bactéries ne sont pas suffisantes pour neutraliser un mutant. Celui-ci peut être un peu déstabilisé par le choc, mais la bactérie n'a aucun effet sur son organisme, puisqu'il est lui-même constitué de Tiny Blood. À l'échelle de l'homme, ça correspondrait à recevoir un simple coup de poing, ou un gros seau d'eau brûlante. : à court terme, la victime ne reste pas impassible sous le choc, mais elle s'en remet vite et sans la moindre séquelle.

Certains des lieusards sont littéralement cloués au rocher, les autres tombent, emportant certains des leurs en chutant. Accoudé à son Hyper Moto, le commandant a enchaîné la ceinture de munitions au chargeur de son arme. Initialement rangée dans le compartiment de droite de l'Hyper Véhicule, elle défile à chaque tir du long fusil. Près de deux cents tirs à la minute, il ne faut pas traîner : il ne faut pas laisser ces rampants atteindre les sandales de Keiko, elle s'en retrouverait submergée.

À la gauche du commandant, un autre affrontement s'affole, bien plus anarchique. Malcolm et Khirian fendent l'air de leurs épées aiguisées et font siffler les capsules bactériologiques à travers le vent, porté par la pluie. Ces deux légendes de la Nouvelle Armée n'ont pas l'air de mener un combat bien ficelé. Tous leurs gestes sont axés sur des réflexes, mais c'est aussi ce qui fait la renommée d'un SÉA : des réflexes hors pairs en situation périlleuse. Les sourires ne se sont pas invités sur les lèvres des épéistes, tuer un mutant n'est pas forcément une partie d'amusement. Quand bien même il aurait préféré s'abriter dans la tour que broyer des écailles sous la pluie, Malcolm apprécie l'utilité de sa combinaison de combat. Grâce à elle, il ne s'épuise pas autant que les autres, mais la répétition ennuyeuse des coups de tranchants l'agace quelque peu. Il n'a pas la même adrénaline que lorsqu'il se sent en danger d'épuisement. Massacrant diplomatiquement le surnombre de lieusards, le Soldat Thundercrash finit par s'énerver.

- 'vont pas me faire chier longtemps, ceux-là !

En beuglant sa colère, il attrape un explosif, du même calibre que celui de la falaise à l'entrée de la ville, et le jette vers la tour. Sentant que ce cadeau n'est pas destiné à les dorloter, l'une des bestioles saute et intercepte le projectile dans sa mâchoire, mais Malcolm a déjà dégainé son pistolet et le pointe sur sa cible sensible. Il ne laissera pas ce lieusard retomber par terre en un seul morceau.

- T'as pas de chance, toi... Se murmure-t-il.

Dans un ultime sifflement grinçant, le projectile quitte le canon de l'arme et transperce la grenade, précipitant son avènement. En effet, le lieusard ne retombera pas entier. Peut-on d'ailleurs parler de "retomber", lorsque le souffle a effectivement éclaté le mutant et collé ses restes aux murs ? Tout le nid est carbonisé par la détonation, dont la sœur a arraché une partie d'une falaise, plus tôt dans la journée. Même à l'extérieur, au seuil de l'édifice, la déflagration a asphyxié et projeté les rampants avec une violence telle qu'ils n'y survivront pas.

Faisons un tour du côté des soldats. Keiko s'était éloignée de l'entrée, à la cime d'un roc. Elle a simplement basculé en arrière sous l'effet d'une vague de chaleur mêlée à un courant venteux. L'Omniscient avait déjà pris ses distances, et seul un réflexe auditif l'aura fait sursauter. Le son de l'explosion a résonné dans toute la tour vide et s'est concentré pour mieux sortir par les ouvertures du bâtiment éventré. Khirian avait plongé au sol à la vue de l'explosif en l'air, juste avant la détonation. À l'abri derrière un tas de gravats, les seuls mutants qui ont voulu sauter sur lui ont embrassé leur mort en l'air. Malcolm n'a pas pu se mettre à l'abri, cependant, sa combinaison a encaissé le choc pour lui, recouvrant l'intégralité de son corps en dessous du cou. Il n'y a que ses lunettes qui ont protégé ses yeux, tout le reste de son visage a légèrement cuit. Comme paralysé par une douleur non prévue, il garde sa pose de guerrier quelques instants. Les jambes tendues un peu écartées, le bras gauche presque le long du torse bombé, un peu penché en arrière, et son bras droit tendu, l'arme au poing, visant l'ancienne destination de son tir, parallèle à la direction de son regard. Les derniers échos s'éloignent de l'endroit et le calme permet aux survivants de regagner leur tranquillité d'après-guerre.

- Aïe.

Ce simple mot derrière une brûlure certaine définit la robustesse de ce vétéran de guerre qui finit par se laisser humidifier le visage par la pluie pour soulager sa peau rougie. Hyxarkon et Keiko s'approchent et passent le pas de l'entrée.

- Xan ? L'appelle-t-elle.

- ...

- Xan Kriegor ! Tente-t-il à son tour.

- P... P-présent...

Une petite réponse grésillante entre deux pierres qui s'écrasent au sol provient de la droite. Xan était au cœur de l'évènement, il a subi une force si violente qu'il s'est retrouvé emplâtré dans un mur désormais fissuré. Sonné, il ne tient debout que grâce au mur dans lequel il est encastré. Une tête connue surgit de derrière l'épaule d'Hyxarkon, toute souriante, les yeux déjà rieurs. Khirian pouffe d'abord, puis éclate de rire, se moquant de nouveau de la misérable position de son compagnon.

Ces cinq élites finissent enfin par s'accaparer de l'abri et d'un peu de repos pour passer la nuit qui se profile au loin. Ils garent les quatre Hyper Motos encore en état de rouler à l'abri de l'extérieur et utilisent les provisions rangées dans le véhicule détruit pour prendre leur repas du soir. De toutes façons, le reste du matériel transporté dans cette épave est au mieux abîmé, au pire inutilisable, et comme il n'y a plus de possibilités de le transporter, ce matériel détérioré sera considéré comme perdu dès que le groupe repartira, laissant ainsi ces outils à l'abandon. Néanmoins, pour gâcher le moins possible, ils utilisent tout ce qu'ils peuvent y trouver d'au moins un peu utile. Un aiguiseur à lames, pour restaurer les tranchants émoussés ; du matériel de cuisine, pour s'alimenter en cas d'imprévu comme c'en est ici le cas ; des munitions, pour remplacer celles utilisées contre la horde de lieusards ; des bonbonnes de gaz pour remplir les propulseurs de Xan et de Malcolm... En somme, tout un arsenal de tintouin habituel pour ces soldats expérimentés. Les armes de Xan qui y étaient rangées sont presque toutes cassées, seuls un pistolet bactériologique et un fusil d'assaut sont encore en état de marche. Il les portera alors aux mains, faute de pouvoir les ranger.

- Bon, et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? Demande Malcolm.

- Si par "maintenant", tu évoques l'instant présent... Commence le commandant Hyxarkon.

Il avale une bouchée de son repas et reprend :

- ... on mange, puis on dort.

Malcolm s'apprêtait à reposer sa question, mais l'Omniscient le coupe en continuant sa phrase :

- Si tu parles de la suite de l'expédition, et bien je dois vous féliciter d'avoir mis en place les fondations d'un nouveau campement avancé !

Après un silence bien calme et bien vide, voire trop, à en devenir gênant, Khirian ne peut tout simplement pas rester sérieux.

- Wouh ! Bravo à nous alors !

Et Keiko de reprendre :

- C'est pas un peu dangereux d'établir un poste avancé si loin dans Tôku no Heiya ?

- Je vous demande quelques semaines de patrouille assez régulière dans les environs. D'ici là, j'aurai une escouade à la hauteur de la protection de Bellevue.

Les quatre SÉA acquiescent. En temps normal, une telle déclaration les laisserait penser que le commandant est inconscient du danger, et fou de laisser un groupe de soldats autres que des SÉA surveiller un tel endroit avant plusieurs années d'expérience et autant de flirts avec la mort, mais dans ce cas précis, les SÉA ne peuvent que faire confiance à ce commandant qui n'est autre que celui qu'on appelle "l'Omniscient", "celui qui sait tout".

Pour avoir déjà été appelé "commandant Thundercrash" quelques années en arrière, je sais ce que c'est d'être en charge de soldats débutants. Pour être devenu un SÉA, célèbre même chez les civils, je connais plus de dangers que n'importe qui dans la Nouvelle Armée. Je suis donc en mesure de savoir que n'importe qui ne peut pas se permettre de venir jusqu'ici à Bellevue, dans Tôku no Heiya. Je désapprouve complètement la décision d'Hyxarkon. Je suis soldat dans la Nouvelle Armée depuis assez longtemps pour savoir qu'on n'acquiert pas les compétences d'un SÉA en moins de dix ans. Encore moins en seulement "quelques semaines". J'en ai ramassé des cadavres, même de ceux qui appartenaient à des amis, donc je sais que même en y croyant très fort, rien ne peut se passer tel qu'on le voudrait. Pour être devenu un SÉA, compétent même parmi les SÉA, je connais plus de dangers que n'importe qui dans la Nouvelle Armée. N'importe qui, sauf deux personnes : Nujiber et Hyxarkon. C'est pour ça que même si je ne suis pas d'accord avec lui, il est dans l'intérêt de tous que je me fie à ce qu'il dit, car il voit tout et entend tout. Je ne sais pas comment il fait pour tout savoir, mais Hyxarkon est l'avenir de l'humanité.

Sitôt son repas terminé, le commandant décide de commencer son tour de garde. Cette nuit, chacun y passera pour un peu plus d'une heure. Hyxarkon en profite pour songer à l'avenir, se murmurant à lui-même ce qu'il prévoit d'établir avec ses subordonnés. Dépourvu de capitaines comme de lieutenants, il est le seul à surveiller les soldats de sa propre division. Certains l'idolâtrent pour ce côté plus qu'ambitieux, tandis que d'autres le considèrent bien fou.

Une heure entière à préparer ses plans, secrets bien enfermés dans son esprit, puis il utilise son bracelet pour envoyer un message vocal à une jeune fille, restée aux quartiers généraux de la Nouvelle Armée.

- Reprends les dernières coordonnées que tu as enregistrées. À partir de cet endroit, regarde au Nord-Est, tu y verras une grande tour. On va se servir d'elle pour établir un nouveau poste avancé. Prépare un Ironclad-Deployer* et rejoins les autres SÉA, ils t'expliqueront la suite. Je compte sur toi, Kawai.

Une fois son message envoyé, son tour de garde se termine. C'est Malcolm qui prend la relève, et lorsqu'il croise le commandant Hyxarkon, celui-ci lui dit tout bas :

- Je sais ce que tu penses, Malcolm.

L'ancien commandant se fige, il ne s'attendait pas à tenir une discussion à cette heure-là.

- Tu n'es pas d'accord avec mes décisions, et tu ne comprends pas pourquoi elle sont quand même meilleures que les tiennes.

À le regarder, ces mots laissent le Soldat Thundercrash indifférent, mais dans sa tête, tout ce qui vient de l'Omniscient est important à noter et à retenir.

- Nous ne sommes pas l'avenir de l'humanité, Malcolm. Ni toi, ni moi. Ni même Nujiber, les autres commandants ou les autres SÉA. Nous sommes trop vieux. En revanche, nous en sommes les piliers. Tous ensemble, notre devoir est de porter cet avenir qui se profile. L'avenir de l'humanité est né et il ne va pas tarder à se manifester...

- ...

Malcolm laisse quelques secondes de blanc et demande :

- Dans "quelques semaines", n'est-ce pas ?

Hyxarkon ne répond pas et part directement se reposer. Il a prévu de repartir le lendemain matin, en laissant les SÉA occuper la zone.

 

 

Dans les quartiers d'Atarashî, le commandant Akorith l'Illusion est en plein deuil nocturne. Il vient d'apprendre de ses capitaines qu'une infime partie de l'escouade qu'il avait laissée stationner dans un camp à Heiya a survécu à une attaque de mutants. Des Shinkens et des Sentôkis qu'il avait lui-même entraînés ont péri alors qu'ils devaient être sous la protection et la surveillance des capitaines Li et Yori. C'est à ce commandant, non déméritant, que revient la décision d'abandonner ou non la tenue de ce poste avancé. En effet, Akorith incarne l'exploration de la Nouvelle Armée. C'est à sa division qu'appartient la quasi-totalité des soldats présents dans les campements avancés, c'est donc lui qui gère les mouvements de troupes sur ces points stratégiques.

Son deuil sera d'assez courte durée. Après tout, apprendre la mort d'un ou plusieurs subordonnés est une tâche, littéralement, quotidienne. Ce soir, il prend une décision importante pour sa division. Des échecs, il en a essuyé beaucoup, et c'est toujours aussi démoralisant de s'avouer vaincu contre des mutants. Perdre une bataille n'est jamais plaisant, mais refuser d'abdiquer peut être létal pour la Nouvelle Armée. Il décide de laisser passer la nuit et de ne se rendre à Heiya, au camp détruit, qu'à l'aube naissante. Les survivants doivent alors passer la nuit sur place avec ce qu'il reste des débris du campement.

Akorith n'est pas fou, il sait bien que pour ses deux capitaines, protéger quatre nouvelles recrues est plus simple que de surveiller un bataillon entier. De plus, en cas d'appel d'urgence, Akorith ne se trouve qu'à quelques minutes d'Hyper Moto de l'endroit, et il a suffisamment confiance en Shasha Li et Shinka Yori pour tenir au moins ces quelques minutes d'affrontement, s'il avait lieu. Le fait de laisser les quatre nouvelles recrues ignorantes passer une nuit dans Heiya à découvert contribue à les former psychologiquement et à développer leur réflexe continu de rester sur leurs gardes.

En effet, au matin naissant, Akorith se prépare à rejoindre ses deux capitaines, mais un imprévu s'impose. Le commandant Hyxarkon est déjà de rentré de Bellevue. Comme il l'avait demandé aux SÉA, ils sont restés sur place, loin au fond de ces terres inconnues et dangereuses. Lui, a prévu d'autres épreuves pour ses nouvelles recrues. Il compte justement aller les chercher au campement où se trouvent les capitaines de l'Illusion. Pressé, il entre dans les quartiers de son collègue et lui impose :

- Akorith, il va falloir que-

- Que j'abandonne le poste avancé, je sais, c'est justement ce que je comptais faire. J'y allais justement.

- Très bien, bonne décision, allons-y.

Hyxarkon continue de presser le pas. Tous deux grimpent sur leur Hyper Moto et rejoignent la zone des quelques minutes qui les en séparaient. Sur place, les deux capitaines montent un semblant de garde autour de cet amas de bordel encore fumant, et puant la cendre à plein nez. Elles saluent toutes les deux les commandants, mais l'un d'eux ne semble pas avoir de temps à perdre.

- Ils dorment encore ? demande l'Omniscient.

- Ils finissent de se reposer, je suppose. Répond Shasha.

Hyxarkon n'est pas furieux, au contraire, il a une idée pour motiver ses troupes. Il demande son aide à Akorith pour faire se lever les nouvelles recrues. Une méthode peu appréciée des personnes visées consiste en retourner le dormeur sur le dos s'il n'y est pas déjà, puis le soulever par le col du gilet jusqu'à ce que le sol ne lui soit plus palpable. Nidari, surpris, se réveille en sursaut, et ouvre de grands yeux sur son commandant.

- Ça y est, tu es réveillé ? Rhétoriquement.

Puis il le pose par terre et confirme l'ouverture des paupières par une paire de petites claques sur les joues. C'est bien plus efficace que le thermos de café qui était prévu. Akorith a eu l'honneur d'exercer ce rituel sur Kyhx, comme une sorte de rappel de sa supériorité, en rapport à l'épreuve spéciale des nouvelles recrues prometteuses. Après quoi, il  réveille Létaki, et l'Omniscient lève Zélyde de cette façon difficilement enviable. Plutôt bien réveillés, et tout juste échappés de la mort, de la veille, tous les quatre restent surpris de cette intervention. Ils ont tous peur d'avoir agi de travers, pour subir ce semblant de punition.

- Il y a un problème, commandant ? Demande Nidari.

- Non, aucun ! Enfin, pas avec vous, si c'était bien ce que tu te demandais ! Le rassure Akorith l'Illusion, toujours souriant.

- Alors c'est quoi le soucis ? Continue Kyhx.

Surpris que ce soit le jeune Kerza qui se mette à parler, les deux commandants marquent un temps d'arrêt, comme pour se confirmer que c'est bel et bien cet ancien muet qui s'est mis à parler. Avec ce début de brouhaha, le groupe de soldats dont fait partie Ori Ishida s'est levé lui aussi. La surprise de voir leur propre commandant, l'Illusion, les réveille tout autant.

- On peut plus rester ici, Kyhx. C'est trop dangereux.

- Shasha, Shinka, vous venez avec moi, on va devoir réfléchir à comment renforcer les autres camps, on embarque vos trois Teishis aussi.

"...vos trois Teishis...", je me suis donné tant de mal à devenir Shinken en trois ans, et même le commandant l'a oublié ? Je vais...

- Akorith, laisse quand même une balise sur ce camp. Il se pourrait qu'on ait à y revenir...

- Ça marche !

- Du coup, on va où ? Demande timidement Létaki.

L'Omniscient, se retourne, lui fait un clin d'œil et lui répond :

- J'ai prévu quelques petites choses pour vous.

 

 

* Un Ironclad-Deployer est un véhicule blindé particulièrement massif.

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