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Chapitre IX) Welcome Gakushû ! 2

Welcome Gakushû ! 2

Laissées au beau milieu du Gakushû en fin d'après-midi, les quatre nouvelles recrues de la division de l'Omniscient s'essaient à leur propulseurs modernes. De manière assez prévisible et lamentable, ils s'étalent les uns après les autres presque à chaque propulsions. Létaki trouve même le moyen de se fouler la cheville droite, s'écroulant de nouveau à terre. Pour n'inquiéter personne, elle se relève, pas encore dominée par la douleur malléolaire de sa cheville encore chaude d'efforts, et reprend sa course, en désactivant ses propulseurs, pour rejoindre les trois autres.

- Vous avez une idée de la puissance que peut avoir un simple coup de pied, avec ces propulseurs ? Demande Kyhx.

- C'est vrai que je n'avais pas imaginé cette utilisation des propulseur... Avoue Nidari. Mais pour l'instant, je vais me contenter de tenir debout.

Après avoir couru intensément et pendant un long moment, Létaki clame un repos mérité. Même s'il décrète que l'heure est au pressement, Kyhx accepte la requête de sa jeune amie. Un groupe se doit de se serrer les coudes, s'épauler les uns les autres, et non se disperser ; ça, Kyhx l'a malgré tout compris, depuis sa fugue involontaire au camp de Heiya. Alors qu'elle crache ses poumons, Létaki s'excuse continuellement.

- Huff... Je... kof kof... désolée... huff... d'être... un boulet... huff... pour vous...

- Le vrai boulet, c'est celui qui se serait laissé distancer, puis bouffer par les mutants. La rassure-t-il. T'en fais pas, ça va aller.

Malgré l'importante absence de clarté dans ces plaines peu baignées de lumière lunaire, Kyhx se rend compte du piteux état de la frêle rose qui peine à se tenir sur ses racines. Elle se tord silencieusement de douleur depuis que sa cheville s'est refroidie, laissant libre place à sa foulure. Il s'accroupit donc et pose sa main droite sur l'épaule de Létaki. Il décèle la grimace qu'elle fait et imagine sa peine. Il ne dit rien, mais réfléchit à un moyen de continuer la mission sans qu'elle n'ait à effectuer des efforts que son corps ne supporte pas. De son côté, Nidari s'en veut de ne pas avoir remarqué sa fatigue la gagner. Il se serait bien précipité au chevet de sa jumelle, mais retenu par Zélyde, celle-ci lui explique :

- Attends, Nidari. Laisse-la avec Kyhx. Létaki ne doit pas toujours avoir besoin de toi. Laisse la récupérer d'elle-même et elle apprendra à devenir plus endurante.

Nidari insiste un peu, mais il entend finalement raison et décide de prendre un peu de repos également.

Zélyde a raison, Nidari ne doit pas toujours se soucier de moi. J'ai fait ce que j'ai pu jusque là, mais je ne veux pas que ma faiblesse coure à ma perte. En plus, c'est humiliant d'avoir recours à Nidari à chaque fois que je n'arrive pas à faire comme lui. Qu'est-ce qui m'arrivera le jour où il ne sera pas juste à côté de moi, ou qu'il sera déjà occupé ? Je dois devenir plus forte. J'ai bien peur de devoir en réutiliser...

 

- "Quand tu commences à trembler, c'est que ton berserk a commencé à venir. À partir de ce moment-là, tu dois relâcher toute la pression. Plus tu te crispes et plus tu perds le contrôle de toi-même. En te relaxant, tu auras l'impression que tout devient plus facile..."

- "..."

- "Sers-toi de ça au début, ça t'aidera à te calmer. C'est un faible calmant. Utilise-le quand tu n'arrives pas à te détendre..."

- "..."

- "Mais attention, n'en abuse pas ! Tu es jeune et ton corps pourrait ne pas savoir le gérer. Une dose de trop et tu seras tellement détendue que ton cœur ne battra plus et ton cerveau s'éteindra !"

 

C'était quand la dernière fois que j'en ai pris ? À l'examen, c'était hier... Non, c'était il y a deux jours. Je devrais pouvoir le supporter.

Alors que Létaki va justement sortir son petit récipient de l'une des poches intérieures de sa veste, Kyhx émet une proposition, d'une voix faiblement étouffée par le voile qui recouvre son visage.

- Zélyde, tu peux courir avec une hache ?

- Hein ? Demande-t-elle surprise.

- Prends la hache de Létaki, elle est lourde. Et moi, je la porterai elle.

Nidari s'offusque brutalement, il n'aime pas voir quelqu'un manipuler sa jumelle, mais il est rapidement rappelé à l'ordre par Zélyde.

- Laisse moi au moins porter sa hache ! Insiste-t-il.

Il veut absolument paraître gentleman, mais le manque de galanterie de Kyhx est justifiable.

- Tu es déjà bien encombré de tes deux armes, Nidari, en plus, Zélyde est plus grande et plus âgée que toi, tu as plus de chances de nous ralentir qu'elle, alors c'est tout vu.

Le jeune Nakar est émotionnellement bousculé, c'est l'une des premières fois qu'il ne maîtrise pas la situation. Pire, il ne fait pas partie de ceux qui peuvent l'améliorer, et pour couronner le tout, c'est son rival Kyhx Kerza qui l'intimide en lui imposant ses ordres, qui semblent être la meilleure des solutions. Dépourvues d'objections supplémentaires, les distributions s'effectuent : Létaki cède temporairement sa hache à son aînée aux cheveux pourpres et grimpe sur le dos du donneur d'ordres de cette nuit. Ni une, ni deux, le groupe se remet en course. Ils sont certes moins rapide, mais ils rétrécissent quand même la distance qui les sépare de leur objectif. Le paysage défile et se répète, dans la vaste prairie qu'ils ont déjà parcouru à l'aller, mais de nuit, aucun repère n'est reconnaissable. Ils ont couru longtemps et en ligne droite, du moins, c'est ce dont ils ont l'impression, pourtant, aucune lueur d'Atarashî ne naît là-bas, à l'horizon. Une crampe le gagnant au mollet droit, Kyhx décide de profiter d'une butte juste ici pour reprendre des forces. Exténués, Nidari et Zélyde se voient obligés d'accepter, vu leur léger retard sur le meneur du groupe, pourtant surchargé. Le jeune borgne pose Létaki au sol, elle qui a bien récupéré. De nouveau sur pied elle s'étire, et échauffe de nouveau son pied droit, mais trébuche et manque de tomber à cause  d'une branche qui dépasse du sol.

- T'es sûre que ça va ? Lui demande Kyhx.

- Oui, ce n'est rien, j'ai juste tapé dans une racine.

- Euh... Létaki, il n'y a pas d'arbre autour de nous. Il ne peut pas y avoir de racines par ici... Remarque très justement Zélyde.

Soulevant cette interrogation, Létaki se baisse et attrape la branche farceuse. Sans aucun mal elle la détache du sol et aperçoit le scintillement de la lune sur le bout métallique du bâton.

- Une flèche ? Réagit Kyhx. Elle a l'air bien épaisse... Remarque-t-il.

- C'est parce qu'il y a un mot attaché autour, mais il fait trop sombre, j'ai du mal à le lire.

- Fais-moi voir.

Létaki donne machinalement l'artefact à son porteur qui lit le mot.

- "Le meilleur moyen de se repérer de nuit, c'est avec la position des étoiles.".

Tous se mettent à regarder le ciel en même temps. Mais aucun ne sait lire la cartographie céleste.

- Le commandant Hyxarkon savait qu'on passerait par là et qu'on s'égarerait... Pense Nidari tout haut.

Et alors que trois d'entre eux essaient de comprendre le schéma astral qu'offre ce plafond noir, le lecteur nyctalope leur informe :

- Y a comme un plan au dos. Il y a des points de différentes tailles, et une direction vers Atarashî est indiquée.

- Ça représente les étoiles ! Comprend aussitôt Zélyde. Essaie de tourner le dessin de sorte que l'emplacement des points soit dans le même sens que ce qu'on voit là-haut !

- Mais, le dessin, il faut le regarder du dessus ou d'en-dessous ?

- Soit l'un, soit l'autre, de toutes façons, il n'y a qu'une seule solution qui peut fonctionner. Et puis, tu te vois devoir basculer la tête sans arrêt de haut en bas pour regarder la carte puis le ciel ?

- Pas bête... Admet-il.

De son seul œil blanc, et alors que ses amis ne peuvent pas beaucoup l'aider, Kyhx tourne le dessin dans tous les sens pour que le schéma corresponde au tableau de la nuit. En dehors de tout contexte, ses rotations, les bras en l'air, sont déliées de tout sens possible et les jumeaux s'amusent à se moquer gentiment de l'ombre dansante qu'ils devinent. Le prétendu danseur n'a pas beaucoup d'humour et ne réagit pas aux ricanement. Il se maintient à son travail, sérieux.

- Pour un amoureux de la nature, il n'a pas trop l'air de savoir lire dans les étoiles, cet enfant de la forêt... Pense tout bas Zélyde.

- Là ! On dirait que ça colle ! S'exclame-t-il enfin. Et Atarashî se trouve... par là !

Il désigne une direction un peu différente de celle qu'ils suivaient jusque là. Tout le monde, enfin reposé, peut reprendre sa course. Létaki récupère sa lourde partenaire et suit le groupe, toujours mené par Kyhx. Quelques minutes de course seulement leur permettent enfin d'apercevoir les discrètes lueurs du camp militaire, quitté quelques heures auparavant, lorsque le soleil n'avait pas encore pris congé.

 

- Ils sont enfin arrivés... Se murmure une voix qui les épie, dans la nuit. Aviez-vous prévu ça, l'Omniscient ?

 

De retour à la porte Nord-Ouest d'Atarashî, le groupe se félicite fièrement, se tapotant amicalement l'épaule ou s'enlaçant, pour les plus proches. Ils sont sûrs d'épater leur commandant et d'obtenir sa fierté également. Voguant entre les travailleurs de nuit, ils se faufilent jusqu'à la gare la plus proche et empruntent un wagon de l'Hyper Loop, cette fois en direction des quartiers. De nuit, le trafic de l'Hyper Loop est plus calme, de même qu'à l'intérieur du camp. La plupart des soldats présents au camp sont au repos, et les civils qui travaillent à Atarashî s'arrêtent au plus tard au coucher du soleil. Le camp étant éclairé en permanence tant que la lumière solaire se cache, il est alors facile pour ces enfants de se diriger sans mal vers les dortoirs, vers le bâtiment 17, où ils retrouveront leurs chambres. Ils parcourent les allées, çà et là, et profitent de l'éclairage pour prendre un peu temps à admirer le camp.

Atarashî est grande comme une ville, mais ressemble plus à un immense marché, avec ses épaisses tentes d'un vert milice très caractéristique, abritant toutes sortes de matériel militaire, comme des pièces d'armement ou de véhicules, des outils de réparation. Chaque stand abrite le travail d'un ou plusieurs ouvriers, qui manipulent ces arsenaux pour renforcer l'équipement de la Nouvelle Armée. Tout ça autour de quelques édifices solides, construit en pierre et en verre pour la plupart, comme le sont les différentes stations de l'Hyper Loop, les bâtiments de repos des troupes de la Nouvelle Armée ou encore les quartiers généraux de chaque division. Les routes y sont aménagées comme dans les villes civiles, pour que des véhicules de transport de matériel s'y déplacent rapidement. Tout est dans l'esprit de l'optimisation du temps et de l'armement nécessaire pour repousser les mutants et reconquérir les anciens territoires que contrôlaient jadis les hommes d'avant la Nouvelle Ère.

Bâtiment 17. Ils en poussent les portes de l'entrée principale, se dirigeant nonchalamment vers leurs chambres respectives. Quelle ne fut pas leur surprise en découvrant des fanions sur leurs poignée de portes, messages qui leur sont directement destinés de la part du commandant Hyxarkon l'Omniscient lui-même. À la fois épuisé de cette journée marquant le début d'une vie agitée, et excités de lire les messages qui leur sont destinés, Kyhx et Zélyde s'isolent dans leurs deux chambres vides et les jumeaux se partagent la leur, tout en se réservant une certaine plénitude personnelle, chacun sur son lit.

 

"Nidari Nakar, fils du fidèle lieutenant Joachim Nakar. Si l'on devait retenir un seul nom de recrue prometteuse, ce serait le tien. Tes atouts sont centrés sur tes compétences innées, celles que tu tiens de ton père. Cependant, tu as su exploiter ces dons de la meilleure façon qu'il soit. À seulement treize ans, tu fais partie des hommes qui ont le mieux compris la fonction d'un soldat de la Nouvelle Armée. Coopération, entraide, sens du sacrifice, tu as déjà acquis tout ça. Pour progresser davantage, tu devras accorder ta confiance à tes compagnons. Eux aussi acquerront ces compétences, et tu auras de plus en plus besoin de compter sur eux, alors n'aie pas peur de te faire aider par tes amis. Tu n'es plus n'importe qui, Teishi Nakar."

 

"Létaki Mandra, fille du fier lieutenant Greg Mandra. Ton jeune âge et ta morphologie sont encore en plein développement et tu n'es pas à la hauteur de tes camarades, mais ton corps recèle une arme que tu apprendras à maîtriser. Ton objectif, aujourd'hui, sera de te concentrer sur les bases qu'a déjà acquis ton groupe. Quand tu seras prête, il sera temps de te faire endurer l'entraînement particulier que tu mérites. Tu n'es plus n'importe qui, Teishi Mandra."

 

"Zélyde Oxford, fille de la capitaine Nina Oxford et du lieutenant Kurt Oxford. Ton abandon a retardé ton recensement, mais c'est ta maturité qui a pris le dessus. Ta capacité à t'adapter à n'importe quelle situation te permet de réfléchir bien plus rapidement que tes semblables, si bien que ta carence scolaire ne t'handicapera pas sur le terrain. N'hésite pas à prendre le temps qu'il faut pour analyser une situation afin de choisir la meilleure option pour ton groupe et pour la Nouvelle Armée. Tes parents ne savent pas que tu es parmi nous, alors épate-les. Tu n'es plus n'importe qui, Teishi Oxford."

 

"Kyhx Kerza, enfant de la nature. Il y a des choses que tu comprends, et d'autres que tu découvres. Sois bien conscient que je sais même ce que tu ignores. Partage ton fardeau, tes amis sont là pour ça, et tu atteindras ton but. Laisse-toi guider et tu retrouveras ce que tu as perdu. La lignée Kerza ne s'éteindra pas avec toi. Tu n'es plus n'importe qui, Teishi Kerza."

 

Les quatre enfants découvrent avec stupéfaction qu'en une seule paire de jours, leur commandant les a cerné comme s'il faisait partie intégrante de leur famille. De plus la dernière phrase qui leur est commune les surprend tout autant : ils viennent d'être promus Teishis ! À l'école, on leur rabâchait pourtant que devenir Teishi prenait en moyenne un à deux ans pour des soldats sérieux. Que signifie cette soudaine récompense ? Un placebo pour leur donner confiance afin de mieux progresser ? Ou la réelle apparition d'un groupe de soldats exemplaires ? Seul l'Omniscient connaît son objectif et ira droit à son but.

Nidari et Létaki se regardent, ne sachant que dire, tout sourire. Elle finit par éclater de joie et saute dans les bras de son jumeau, les yeux remplis de bonheur. Lui reste étourdi, mais partage pleinement ses sentiments et la serre de toutes ses forces dans ses bras.

- On y est ! On est des vrais soldats, maintenant ! Se félicite-t-il.

Seule de son côté, Zélyde est émue. Sans l'aide de ses parents ni quelconque soutien porche, elle a fini par rapidement rattraper le retard qu'elle avait sur les autres recrues de son âge. À seize ans, Zélyde est maintenant une Teishi comme les autres. Ce qui l'attriste le plus, c'est le début de la lettre : ses parents. À en lire le message, ses deux parents sont encore en vie et sont des hauts gradés de la Nouvelle Armée. La haine d'avoir été délaissée la submerge et elle se jure de faire payer son père et sa mère pour l'avoir reniée.

Comme d'habitude, Kyhx ne montre pas l'once d'une émotion, mais il s'interroge sur l'identité de l'Omniscient pour savoir autant chose sur lui. Un psychologue normal ne saurait dire ce qui provoque cette attitude à Kyhx sans un entretien approfondi, mais apparemment, Hyxarkon l'a déjà deviné.

Sur ce mélange de congratulations et d'interrogations, le groupe promu, pourtant lessivé, se promet de se lever tôt après un court repos du restant de la nuit.

La promesse est effectivement honorée, mais pas par choix. Dans les hauts-parleurs, le réveil matinal est toujours volontairement brut. Les nouveaux Teishis ne sont pas encore vraiment conscients de leur grade, après tout, ils ne sont que de jeunes recrues. En souvenir de leur baptême militaire, ils se pressent de revêtir leurs tenues et se précipitent au réfectoire pour aider les affectés au service du petit déjeuner. Quelle n'est pas la surprise à laquelle il font face en voyant tous ces gens, habillés en majordomes et en servantes, remplir une à une les tables du réfectoire. Des hommes et des femmes, de tous âges qui apportent les plateaux sur des tables inoccupées, attendant l'arrivée des soldats de la Nouvelle Armée. Un peu perdus, sans repères, le groupe d'enfants ne comprend pas ce qu'il se passe et hésite à s'asseoir à une table. Voyant quelques uns de leurs compères matinaux déjà en train d'avaler des forces, ils décident de les imiter en s'acquérant d'une table au hasard, plutôt vers le fond, peut-être par peur de déranger. Ne voyant aucune objection de la part des gens présent, ils commencent leur repas en silence, toujours dans l'attente d'une explication, mais aucune tête connue à l'horizon n'est là pour les renseigner. Kyhx s'est assis de sorte à pouvoir analyser toute la scène, face à l'entrée du bâtiment. Face à lui, les jumeaux, tout aussi peu informés, restent mal à l'aise. Une jeune femme passe près d'eux pour déposer sur la table voisine un banal plateau, et lorsque Kyhx l'interpelle, la voix qui répond fait sursauter Nidari de surprise, qui n'avait pas vu la personne s'approcher, et s'en excuse. La demoiselle interpellée n'est pas n'importe laquelle : elle porte un voile pour cacher une partie de son visage, un peu comme l'habituel silencieux du groupe, à la différence que ses deux yeux sont bien visibles ainsi qu'une partie de sa bouche.

- Je peux te poser quelques questions ? Lui demande le borgne.

- Bien sûr, qu'y a-t-il ? L'accueille-t-elle chaleureusement.

- J'aimerais qu'on ne nous entende pas, j'espère que ça ne vous dérange pas Nidari, Zélyde... et Létaki ?

Aucun refus, les trois apostrophés se montrent compréhensifs et comprennent que Kyhx ait enfin envie de se confier à quelqu'un qui semble avoir le même handicap que lui. Il se lève alors et s'assoit avec la jeune femme à la table d'à côté pour discuter.

Comme il ne sait pas par où commencer, un petit silence qui voulait s'installer est balayé par la jeune femme.

- Du coup, on se présente ?

- Hein ? Euh... Oui... Oui, je m'appelle Kyhx Kerza.

- ...

- Quoi ?

- C'est que... Tu es censé te présenter en me donnant ton grade et ton âge. Pour que je sache à qui j'ai affaire.

- Ah ! Euh... Bah recr... Euh... Teishi Kyhx Kerza, quinze ans.

- Enchantée ! Lui adresse-t-elle avec un large sourire à demi caché. Je m'appelle Léanna Dumas, et j'ai vingt-deux ans.

- Beh... Tu n'as pas de grade ?

- Moi ? Mais je ne suis pas soldate ! Je suis juste une employée qui sert les petits déjeuners dans ce réfectoire.

- Je ne comprends pas. D'habitude, c'est pas aux soldats de faire ça ? Comme on l'a fait avant-hier ?

- Ben... Ah ! Je vois ce que tu veux dire. En fait, le jour du recensement, l'intégration des nouvelles recrues se fait par cette activité. En plus, ça nous fait un jour férié pour nous, les civils qui travaillons ici ! De toutes façons, tu voulais me poser d'autres questions, non ?

- Oui, tu as raison. Dis-moi, pourquoi portes-tu ce voile noir si singulier sur ton visage ?

- Ah, ça... C'est à cause d'un bête accident qui remonte à quelques années en arrière... Se confie-t-elle. Je me suis blessé et... Comment dire ? Défigurée, si on veut. Du coup, pour ne pas choquer et déstabiliser les plus sensibles, je me couvre de ce drap. J'imagine qu'il t'est arrivé la même chose à te voir !

- Oui, si on veut...

- Dis donc, tu m'as l'air nerveux, c'est à cause de cette blessure ? Si tu veux, quand tu auras du temps, à l'avenir, je te propose de rejoindre une association à Eikou* pour les gens comme nous, qui sommes différents des autres.

- À l'occasion, je te retrouverai, Léanna Dumas. Merci.

- Merci d'avoir passé du temps avec moi ! Lui sourit-elle avant de se rendre compte. Mais...

- Hm ?

- Tu faisais partie des nouvelles recrues d'avant hier ? S'étonne-t-elle tout à coup.

- Exact.

- Tu viens de me dire que tu étais Teishi !

- Ben, d'après la promotion que nous a accordé le commandant Hyxarkon, c'en est bien le cas.

- D-deux jours ! Pour devenir Tehisi ? C-c'est incroyable !

- Si tu le dis. Je ne suis pas là depuis assez longtemps pour connaître ce qui est incroyable et ce qui ne l'est pas...

Sur ce, elle reste muette et repart à ses affaires un brin affolée et lui, retourne avec son groupe qui préfère rester discret sur le sujet. Juste le temps de terminer le repas du matin, et de se concerter pour se mettre d'accord sur le fait de rester discret sur leur récente promotion, afin d'éviter d'attirer l'attention, que surgit-il derrière Kyhx, arrivé de nulle part :

- Alors ?

Ce mot les fait sursauter tous les quatre au point de se cogner un genou sous la table dans un vacarme tonitruant. L'assiette de Nidari qui s'échappe de la table est rattrapée de justesse par leur invité surprise.

- Commandant Hyxarkon ! Vous êtes déjà là ? S'affole Nidari.

- Et bien, j'ai entendu crier "deux jours !", et puis "Teishi", et puis "incroyable !" alors, je suis venu voir de quoi parlait qui.

- ...

- ...

- ...

- ...

Un malaise muet prend position et une bataille de regard fait rage, ce qui amuse le commandant, qui garde un sourire narquois et attend l'intervention d'un des membres du nouveau groupe de Teishi. Ce bruyant silence est alors doucement rompu par la plus âgée du groupe.

- Commandant, dans nos chambres, nous avons trouvé des mots de votre part...

- ...

- Et ils nous promouvaient Teishi de votre initiative.

- ...

- Et... C'est gênant quand vous ne répondez pas.

- Alors félicitations à vous ! Répond le commandant en gardant un faux air béa.

- Quoi, c'est tout ? Réagit Nidari. Il n'y a rien de plus officiel qu'un bout de papier pour être promu ?

- À quoi bon ? Rétorque l'Omniscient. Qu'est-ce qui change fondamentalement entre le statut de nouvelle recrue et celui de Teishi ?

Du tac au tac, Nidari se souvient de ses cours. Les différents droits et devoirs des différents statuts dans la hiérarchie militaire de la Nouvelle Armée. Les soldats les plus expérimentés doivent former les nouveaux afin qu'ils progressent rapidement. Plus un soldat est aguerri au combat contre les mutants, plus son territoire de liberté est vaste. Les Sentôkis et les Shinkens sécurisent le territoire jusqu'au Torêningu* pendant que les Teishi s'entraînent dans le Gakushû. Heiya est réservé aux érudits lieutenants et leurs supérieurs. Tous ces territoires sont définis comme étant les limites des droits de mouvement des soldats en fonction de leur grade.

- Tu as très bien appris tes leçons, Nidari, mais au final, il  faut réfléchir au-delà de ce que tu récites. Si un Teishi ne peut pas aller jusqu'à Torêningu, ce n'est pas parce qu'il n'en a pas le droit, c'est parce qu'il n'en a pas la capacité. Il est trop faible pour être sûr d'y survivre. Les mutants là-bas sont autrement plus dangereux que ceux que tu as trouvé à Gakushû. Dans le civil, l'apprentissage est encadré, car c'est le seul moyen d'échapper à l'anarchie hiérarchique. Ici dans la Nouvelle Armée, si tu ne suis pas les recommandations sécuritaires, la sanction est imposée par la sélection naturelle. Si t'es fort, tu vis. Si t'es faible, tu meurs. Ton rang ne sert qu'à te remémorer ce dont tu es capable. Et ça, ce sont les commandants qui le décrètent pour leurs subordonnés, vu ?

- Compris.

- Bon, allez, moi j'ai à faire, je vous laisse ! Tchô !

Sans attendre de réponse, le voilà qui s'enfuit de l'endroit pour rejoindre on ne sait quelle mission. Tout se bouscule pas mal dans les esprits des nouveaux Teishis et ils ne savent pas vraiment comment s'adapter à tous ces changements. Zélyde propose au groupe de faire un point et de tout récapituler.

- Il était bizarre le commandant, ce matin, vous ne trouvez pas ?

- Absolument ! Confirme Nidari.

- Euh... Vous le connaissez tant que ça ? Interroge timidement Létaki.

- De ?

- Je veux dire... on a rejoint la Nouvelle Armée il y a si peu de temps... Comment vous savez que ce n'est pas son comportement habituel ?

- Létaki a raison, on ne doit pas s'en faire à propos d'Hyxarkon. On doit simplement suivre ses directives et...

- ...

- ...

- ...

- Et ?

- Ben, c'est quoi ses directives ?

Il semblerait que dans sa précipitation, Hyxarkon ait oublié de missionner le groupe. Paniqués et sans repères, ils ne savent pas quoi faire d'autre que regarder leurs confrères entrer et sortir de la salle. Ils se sentent à la fois délaissés et inutiles, se croisant parfois les regards entre eux. Nouveaux, ils n'osent pas déranger tous ces automates affairés. Ils ne font qu'écouter les discussions plus ou moins audibles. Les débats sont tantôt à sujet de missions, tantôt à sujet de repos, de congés, des différences de vie entre Atarashî et la vie civile.

- Vous faîtes quoi ?

Tous en chœur, le groupe crie sa surprise en soulevant de nouveau la pauvre table.

- Vous n'avez pas fini d'apparaître comme ça dans notre dos en venant de nulle part ? Se plaint Nidari.

- ...

- Lieutenant Kora Zunka ! Je suis navré, je ne pensais pas que c'était vous ! S'excuse-t-il aussitôt.

- Pas d'inquiétudes ! Mais vous attendiez qui avec cet accueil si spécial ?

- Euh... Non... Personne, en fait.

- Haha ! Bon, et sinon ? Vous faîtes quoi du coup ? Parce que vous ne m'avez pas répondu !

- Et bien, le commandant Hyxarkon ne nous a pas donné d'indications de mission.

- Et donc... Vous ne faîtes rien, c'est ça ?

- Euh...

- C'est vous qui voyez, hein, mais à votre place j'utiliserais ces précieux moments de liberté pour m'entraîner à Gakushû ! Leur dit-il en s'éloignant.

Le lieutenant Kora s'éclipse sur ces dernières paroles, en partageant son idée pas si mauvaise au groupe.

- Je crois que j'ai compris comment ça marche ici. Tant qu'on ne nous demande rien, on est libre de faire ce qu'on veut.

- Ça y ressemble... Admet Kyhx.

- Au fait, on dit "à Gakushû" ou "dans le Gakushû" ?

Nidari se lève, et demande implicitement à ses amis de le suivre à l'entraînement.

- Moi je dis "on y va et on va rosser du mutant" !

 

 

*Eikou [?jko] : Grande ville au nord de la région.

*Torêningu [to??ni?(?)] : Campagne, habitée par les mutants, qui s'étend entre les villes et les villages.

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